Lucas Destrem, ancien du lycée (2007-2010), a repris le plan de la RATP et y a modifié tous les noms de stations pour les remplacer par des dénominations valorisant les lieux d’art et de culture de l’agglomération parisienne. Un plan en forme de soutien à un secteur durement touché par la crise sanitaire et les consignes en vigueur en conséquence.
Dans la réalisation de ce plan, il y a la rencontre de plusieurs passions. Celle de la cartographie – j’ai dessiné des cartes avant de savoir lire. Celle du métro parisien, de son folklore et de ses ambiances, pour lesquels j’avais eu un véritable coup de cœur étant enfant, même si aujourd’hui, partagé entre Limoges et surtout l’Ariège, je le fréquente peu. Enfin celle de la toponymie, c’est-à-dire à la fois le corpus global des noms de lieux qui nous entourent, et la discipline qui, à la croisée de la géographie, de la linguistique et de l’histoire, les produit et les étudie.
Au départ, ce plan, c’est un cadeau de Noël pour mon jeune frère, parisien depuis quelques mois et nouvel élève d’une école de théâtre, l’Ecole du Jeu. Une sorte de carte de bienvenue dans la ville-lumière et capitale.
Un important travail d’identification et de sélection des lieux
Concrètement, j’ai réalisé ce plan à partir du plan original de la RATP, en vigueur fin 2020 et accessible à tous en ligne. Tous les vrais noms de stations – environ 500 qui apparaissent sur ce document – ont été retirés, puis remplacés par un nouveau toponyme (que l’on pourrait appeler « stathmonyme », du grec σταθμός, stathmós [arrêt, station]). Il s’agit de stations de métro mais aussi de RER, transilien et tramway. Je n’ai inventé aucune localisation. J’ai simplement rajouté quelques stations de train de banlieue qui n’apparaissent pas sur le plan mais que j’avais à cœur de mentionner, principalement dans l’ouest parisien. Mais l’idée était vraiment de conserver ce plan qui parle à tout le monde, même vu de loin. C’est une signature graphique de la RATP, et au-delà, de Paris. Presque une marque. C’est ce qui en fait la force, le caractère iconique, au-delà de son rôle pratique de plan.
Les nouveaux noms choisis renvoient à des lieux d’art, de culture et de loisirs situés à proximité. J’ai donc sélectionné des musées, des monuments historiques, des bibliothèques, des théâtres, des cafés culturels et musicaux, des salles de concert, des ateliers d’art, des centres socio-culturels, des parcs de loisirs, des institutions médiatiques, des centres d’archives, des cinémas, des écoles d’art, des pôles de recherche, des librairies, des centres culturels étrangers… Des lieux connus côtoient des sites plus confidentiels. J’avais notamment à cœur de valoriser les lieux de la petite couronne, afin de souligner la vitalité des départements limitrophes en matière de création, d’éducation à l’art, de tourisme culturel.
Au terme d’un long travail d’identification des différents lieux, permis par le croisement de plusieurs sources et bases de données (Google Maps, carte interactive de la ville de Paris, index régional des lieux culturels…), j’ai dû procéder à un complexe exercice de sélection, dans un vaste tableau Excel, où à chaque station étaient associés différentes possibilités hiérarchisées par distance. Ce travail m’a conduit à retirer certains lieux dans l’objectif de produire des noms compréhensibles, lisibles, suffisamment courts, aussi agréables à dire que possible, et crédibles, comme s’ils devenaient les stathmonymes de demain. J’ai en outre mis un point d’honneur à valoriser l’ensemble des champs du patrimoine et de la création culturelle, du théâtre de marionnettes aux lieux d’histoire, des espaces de création contemporaine aux lieux d’éducation à l’art…
Mettre en lumière la richesse du tissu culturel… et sa fragilité
Ce faisant, à la lumière d’une actualité marquée par les restrictions visant l’ensemble des professionnels du secteur de la culture, des arts et du divertissement, ce plan m’a paru faire écho aux incertitudes sur l’avenir proche de tous ces acteurs, toutes ces structures, et donc avoir une portée collective.
L’objectif de ce plan est donc aussi devenu de valoriser des institutions, des objets et des acteurs et actrices culturel.le.s durement touchés par la crise sanitaire du Covid-19, dont les perspectives économiques et psychologiques sont souvent bien sombres. Cet impact est tangible pour moi, car il concerne plusieurs personnes de mon entourage, comme beaucoup d’entre nous, qu’ils soient eux-mêmes artistes ou tout simplement férus de sorties culturelles. Ceci m’a poussé à vouloir rendre public ce plan, de manière à très modestement attirer l’attention de tous sur cette situation très difficile. Il s’agit aussi d’attirer l’attention sur la richesse et la diversité du tissu socio-culturel et artistique de la région parisienne, de mettre en évidence le patrimoine vivant que ces différent.e.s acteurs et actrices protègent, valorisent, étudient et créent, en permanence, et de rappeler combien ces lieux sont essentiels à l’équilibre de tout un chacun, en ce qu’ils créent du lien, de l’émotion mais aussi font vivre des millions de personnes en France.
La toponymie, un jeu linguistique, commercial, politique…
Soucieux de procéder dans les règles, j’ai sollicité et obtenu l’autorisation du service juridique de la RATP pour la publication en ligne de ce plan adapté du plan original dont elle détient la propriété intellectuelle. C’est aussi pour cela que je n’en ferai pas commerce.
Ce plan détourné interroge aussi notre rapport à la toponymie urbaine, à la fois intime et quotidien, collectif et politique : les noms de lieux forment un paysage linguistique riche, dense, mouvant, qui vise à faciliter les déplacements et le repérage, et qui en même temps donne à lire et à comprendre l’histoire des sociétés, la confrontation des mémoires, le poids changeant des représentations, des valeurs morales et des idéologies qui sont successivement brandis puis honnis par les différents régimes de gouvernement… Le matériau toponymique, à la fois pratique et symbolique, est aussi un formidable terrain de jeu que les communicants, les décideurs politiques, les entreprises investissent de plus en plus (on se souvient peut-être de la campagne de publicité de la SNCF qui mettait en scène de faux panneaux routiers français mentionnant “Quancoune” ou “Saint-Gapour”).
Dans ce paysage de noms de stations, les lieux de culture sont finalement peu nombreux. Rares sont donc les noms à n’avoir pas été modifiés : Musée d’Orsay, Arts et métiers, Musée de Sèvres… On peut s’amuser à les repérer. On peut aussi “jouer” autrement : constater que les noms de femmes sont moins rares que dans l’odonymie traditionnelle. Preuve qu’on a davantage associé les personnalités féminines à des lieux de culture qu’aux voies de circulation ? Preuve aussi que les lieux de culture, assez récents pour l’essentiel (médiathèques municipales, centres socio-culturels), ont été édifiés et nommés à une époque où la question de la parité et de la présence des femmes dans l’espace public s’est imposée à tous avec nécessité, et particulièrement dans un premier temps, il faut le dire, dans les municipalités de gauche comme Paris ou l’est parisien.
Je n’avais pas anticipé la circulation aussi rapide de ce plan. J’ai été touché par les innombrables remarques positives, les encouragements, les mots très chaleureux, les demandes d’édition et le partage par certaines personnalités du cinéma ou par certains hauts lieux culturels, mais aussi la déception de ceux qui n’ont pu être retenus sur le plan… Ce plan n’a évidemment pas la prétention d’apporter des solutions, mais puisse-t-il ancrer au maximum dans nos esprits la nécessité de défendre l’accès à la culture pour tous, sans distinction d’âge, d’origine, de territoire, sans discrimination entre les différents courants, les différentes formes d’expression. Ayons à la fois conscience de la chance que nous avons, dans notre pays, de pouvoir profiter d’une offre culturelle aussi riche, et de la grande fragilité de ce milieu, qui exige des décideurs une urgente attention et des usagers et citoyens que nous sommes tous, une solidarité exemplaire qui pourra s’exprimer quand les salles rouvriront.
Quant à moi, cela m’a donné l’envie de faire d’autres plans qui continueront d’inviter au jeu tout en portant un message ! Peut-être sur Limoges ?
Vous pouvez suivre le travail de l’auteur, Lucas Destrem, sur son site internet : Géo_Graphismes.
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Bravo ! superbe idée et carte super pratique pour se balader ! elle devrait être dans tous les métros 🙂