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Ancien hypokhagneux au Lycée Gay-Lussac et actuel étudiant à Sciences Po Rennes, Romain Artiguebère nous dresse le portrait d’une Pologne complexe. Pendant près d’un an, il a vécu et travaillé chez ce « lointain voisin », tout à la fois profondément européen et prisonnier de sa propre Histoire.

 

Drapeau Pologne

« L’intrigue se déroule en Pologne, c’est-à-dire nulle part ». La sentence d’Alfred Jarry, issue de son discours prononcé le 11 décembre 1896 lors de la représentation d’Ubu Roi au Nouveau Théâtre, est piquante. Elle l’est d’autant plus lorsqu’on connait l’Histoire tourmentée de ce pays aux frontières historiquement mouvantes. La Pologne est avant tout une société faussement homogène, une culture au contenant terrestre évolutif, un assemblage de coutumes demeurées trop souvent sans port d’attache. Occulter le passé, marginaliser le poids des décennies de guerres et de luttes sur le Vieux continent, c’est nier le devenir du peuple polonais. Celui-ci, profondément lié aux temps révolus et aux vestiges du siècle passé, n’hésite pas à se livrer à une martyrologie trop souvent mortifère. La Pologne est donc un agrégat d’individualités soudées, un condensé de culture fièrement exhibée sur un territoire jalousement gardé. La nation, réalité reléguée au rang d’évidence dans nos démocraties d’Europe de l’Ouest, est le bien le plus précieux des sociétés orientales. Prenons conscience du fait qu’elles ont été délestées tardivement de la domination d’empires autocratiques. L’Allemagne nazie a détruit, l’URSS a gommé, la Pologne d’aujourd’hui veut donc s’affirmer. Curieux paradoxe que de célébrer avec tant de force la fin d’une époque douloureuse. Le culte des morts est une nécessité poussée à l’extrême dans ce pays bordé par la Baltique.

Il n’est besoin que de deux heures pour relier Paris à Varsovie. Deux petites heures d’avion et l’on découvre un fourmillement d’activités, de travaux et de chantiers dans une cité pourtant avilie par les blessures d’hier et angoissée par des menaces exagérées. La Russie fait peur, l’OTAN rassure, les Américains protègent et Bruxelles fait office de banque d’investissement pour projets patriotiques. J’ai eu l’occasion d’analyser de l’intérieur cette Pologne gorgée de paradoxes déroutants, ce pays méconnu à l’Ouest du Rhin, cette nation artificiellement célébrée. J’ai pu mesurer la complexité d’un partenaire européen dédaigné, ignoré ou détesté. Qu’en est-il réellement pour un Français vivant à Varsovie ? Quel bilan peut-on dresser d’une expérience de vie dans un Etat austère en pleine mutation ? Il n’est parfois pas nécessaire de quitter l’Europe, de s’enfermer longuement dans l’habitacle d’un puissant avion ou d’un train à grande vitesse pour sentir le poids du dépaysement, de la perte des repères et, donc, la nécessité d’adapter son quotidien à un cadre nouveau.

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