Dans le cadre du congrès national de l’Union des A, organisé par l’association des Anciens du Lycée Gay-Lussac en 2017 à Limoges, un grand thème fait l’objet d’échanges et de débats. Le thème choisi cette année est Langue, culture et citoyenneté. Des langues anciennes à l’ère 3.0. Les échanges seront conduits par Jean-Pierre Levet, Président des Anciens de Gay-Lu, Professeur émérite de langue et littérature grecques, et de grammaire comparée des langues indo-européennes à l’Université de Limoges.
L’association des Anciens du Lycée Limosin, membre de l’Union des A, est associée à l’organisation.
Ce colloque se déroulera VENDREDI 6 OCTOBRE, au Lycée Gay-Lussac en matinée, et à la Cité Scolaire Léonard Limosin l’après-midi.
INFOS PRATIQUES ET INSCRIPTION
Langue, culture et citoyenneté. Des langues anciennes à l’ère 3.0
La part de l’enseignement du latin et du grec dans les lycées et collèges n’a pas cessé, pour différentes raisons, en particulier pour une suspicion d’élitisme, de diminuer depuis plus d’un siècle, alors que certains parlementaires, comme le docteur Levraud, à la fin du XIXème siècle, voyaient en lui la base d’une éducation républicaine bien comprise.
Sa survie même est aujourd’hui en cause et l’on peut raisonnablement s’interroger sur l’avenir du latin et du grec dans les établissements secondaires à l’ère du plein développement de l’informatique, de la télématique et de leurs nombreuses et diverses applications.
Le débat se révèle d’actualité. Voici deux faits concrets, choisis parmi beaucoup d’autres, qui le montrent à l’évidence : dans sa campagne électorale le nouveau président de la République a pris explicitement position pour le rétablissement dans les collèges de l’étude du latin et du grec, qui avait été dénaturée et quasiment supprimée sous le quinquennat de son prédécesseur, si bien que des mesures réglementaires ont déjà été arrêtées à ce sujet ; d’autre part, un hebdomadaire national de grande diffusion a récemment expliqué que tous les grands thèmes de la vie sociale, politique et morale se trouvaient exposés par Homère et donc soumis à la réflexion des lecteurs avisés de l’Iliade et de l’Odyssée, le long article donnait ainsi raison à Charles Péguy qui préférait la nouveauté des vers de l’aède à celle des informations du quotidien du jour.
Cela étant, la discussion qui sera lancée à l’occasion du congrès national de l’Union des A sera composée de quatre temps distincts.
- Une présentation générale proposée par Jean-Pierre Levet, professeur émérite à l’Université de Limoges.
- Une réflexion sur les langues anciennes et la maîtrise du français sera conduite par Isabelle Klock-Fontanille, professeur à l’Université de Limoges, membre senior de l’Institut Universitaire de France, directrice de l’ELCOA à l’Institut Catholique de Paris.
- Dans un troisième temps Yves Liébert, professeur à l’Université de Limoges, traitera le sujet suivant : la place de la culture classique gréco-latine dans le monde d’aujourd’hui et dans celui de demain. Son intervention sera complétée par celle de Robert Bedon, professeur émérite à l’Université de Limoges, qui rappellera la place occupée par le latin dans la toponymie de la France à partir d’un voyage linguistique effectué le long d’un itinéraire partant de Bourges et arrivant à Limoges.
- Christiane Besse, professeur honoraire au lycée Léonard-Limosin de Limoges, enfin, évoquera de façon détaillée la richesse du recours au latin et au grec pour la formation civique des élèves contemporains et de leurs successeurs dans l’avenir.
Quelques thèmes fondamentaux
Mais d’ores et déjà Jean-Pierre Levet souhaiterait attirer l’attention des futurs participants au débat sur quelques thèmes fondamentaux.
La maîtrise du langage et de la grammaire que permet d’acquérir, à différents niveaux bien évidemment, l’apprentissage du latin et du grec n’est-elle pas une base utile en vue d’une insertion sociale réussie et de la progression dans l’exercice des métiers intellectuels liés à la possession d’un diplôme universitaire ?
La culture 3.0 risquant manifestement d’entraîner dans les esprits une confusion entre le réel et le fictif, le vrai et le faux, le bien et le mal, un enseignement intelligemment conçu et orienté des langues et littératures anciennes ne peut-il pas servir d’antidote efficace, plus efficace que d’autres pour de nombreuses raisons à ce danger, dont on ne mesure sans doute pas toujours la gravité ?
Les Anciens sont les inventeurs de la démocratie, d’une démocratie conçue d’une manière bien différente de la nôtre certes. Mais les textes qu’ils nous ont légués nous permettent de nourrir sur tous les thèmes politiques et moraux qui s’offrent à notre pensée une réflexion dense, féconde et surtout dépassionnée.
Une idée majeure, bien adaptée à l’ère 3.0, semble tout particulièrement mériter d’être retenue : quand la vie politique devient largement, pour ne pas dire excessivement, une affaire de pure communication, d’une communication dans laquelle, par essence, le vrai n’est pas tout à fait vrai, le faux pas tout à fait faux, le réel pas tout à fait réel, le fictif pas tout à fait fictif, on retrouve ce que furent les conditions d’action et de destruction de la sophistique, en bien pire, parce qu’à la rhétorique abusive des mots s’ajoute maintenant celle des images.
Les auteurs antiques, à Athènes comme à Rome, ont combattu ce dévoiement de la pensée et de la parole et nous ont enseigné les méthodes qui permettent d’en déjouer les pièges les plus redoutables qui constituent de graves menaces tant pour les individus que pour les communautés. Pourquoi ne pas chercher à redécouvrir leurs leçons et à les analyser en lisant et en commentant les textes qui sont parvenus jusqu’à nous ?
Ne devrait-on pas sérieusement méditer la démonstration faite par les Grecs au sujet des excès de la liberté de parole, Lorsque celle-ci se transforme en liberté de dire et de tenter d’imposer tout et n’importe quoi, en licence, ce qui est appelée péjorativement parrhêsia, il n’y a plus de liberté pour les citoyens non avisés, c’est-à-dire pour la grande masse des habitants de la cité et donc il n’y a plus de démocratie authentique possible.
Cette idée traduite en langage moderne peut s’exprimer de la façon suivante : les excès de la com’ sont mortifères pour la démocratie et pour les valeurs qui lui sont associées. La redécouvrir dans des textes vieux de vingt-cinq siècles pourrait inciter à réfléchir sur certaines conceptions du progrès. On ne soigne plus les malades comme on le faisait du temps d’Hippocrate, mais on applique dans la vie politique des pratiques dont la dangerosité et la nocivité ont été démontrées par certains des contemporains ou quasi-contemporains de l’illustre savant et l’on écarte ainsi délibérément ou par pure et dramatique ignorance ce qui devrait être, selon l’expression de Thucydide, un « acquis pour toujours ».
Quels que soient les apports des âges modernes à notre culture, ils n’affectent en rien le socle solide hérité de l’Antiquité, que ce soit dans les arts ou dans les réflexions philosophiques sur ce que sont la pensée, l’intelligence et le sens moral (la mythologie, par exemple, condamne de façon constante tout ce qui relève de la démesure, de l’hybris).
L’Union européenne, d’autre part, n’a-t-elle pas emprunté une mauvaise voie en ne se construisant pas d’abord sur un héritage culturel commun à tous les peuples qui la constituent, l’héritage gréco-latin, mais sur d’autres bases, de nature économique, qui auraient pu n’être que secondairement développées, une fois un socle stable assuré pour que la solidité de l’édifice ne soit pas mise en péril.
Quels sont aujourd’hui ceux des membres de sa classe politique qui savent que le projet contemporain en cours de réalisation n’est que le second élaboré dans l’histoire, le premier ayant été imaginé par Gerbert d’Aurillac (pape Sylvestre II de 999 à 1003), fils d’un serf auvergnat et génie aux connaissances universelles, sous la forme d’un empire européen pacifique réunissant tout le continent, Russie comprise, sur le fondement de la culture classique commune en vue du progrès humain, économique, social et scientifique ? Seule une mort prématurée empêcha ce « faiseur de rois » (Pologne, Bohême, Hongrie, mais aussi France avec Hugues Capet, dont il était le secrétaire) de tenter de mettre à exécution son immense projet avec le soutien d’Otton III, lui aussi trop tôt disparu.
Alors que les jeunes Chinois apprennent aujourd’hui avec bonheur et efficacité à former leur pensée à tous les niveaux scolaires et universitaires en lisant leurs auteurs classiques et plus particulièrement Confucius, pourquoi dans le même temps l’Europe, loin de promouvoir ses propres classiques, en détruit-elle avec une constance qui confine à l’acharnement l’enseignement jadis si florissant partout ?
Mais considérer que la culture et l’humanisme gréco-latin, les langues anciennes et leur étude ne concernent que la France, les aires francophones et l’Europe serait une grave erreur. L’ensemble de cet héritage classique est aussi par nature profondément euro-méditerranéen, c’est-à-dire lié également à l’ensemble du Proche-Orient, au nord de l’Afrique et à la Perse.
C’est ainsi qu’un philosophe et philologue contemporain, Dimitri Gutas, a pu écrire, il y a une vingtaine d’années, un livre important intitulé Greek Thought, Arabic Culture, et relatif aux traductions en arabe et en persan des œuvres philosophiques et scientifiques majeures de la Grèce dans une Maison de la Sagesse fondée à Bagdad au début du IXème siècle. Ses membres, chrétiens, juifs et musulmans, appelaient tous Aristote LE philosophe.
Voilà donc quelques-uns des grands thèmes que nous développerons dans une discussion dont nous souhaiterions avoir convaincu chaque futur participant qu’elle peut être passionnante et d’une permanente actualité aujourd’hui et demain.
Vos suggestions, vos convictions et aussi bien sûr vos objections seront toutes les bienvenues avant le congrès. Nous les attendons.
INFOS PRATIQUES ET INSCRIPTION
L’organisation du 96e Congrès de l’Union des A à Limoges se déroule dans le cadre des 150 ans de l’association des Anciens de Gay-Lu, et avec le soutien de la Ville de Limoges. En savoir plus sur l’association.